"Hans Op de Beeck. Voyage nocturne", au "KMSKA", à Antwerpen, jusqu'au 17 Août

« L’atmosphère d’une image ou d’un espace ouvre la voie à un état d’esprit, une expérience, une réflexion. En tant que créateur, mon objectif n’est pas de simuler ou d’imiter littéralement et en couleur le monde tel qu’il est, mais d’évoquer : façonner une ambiance harmonieuse en jouant sur la forme, la couleur et la matière. J’aspire à une fiction visuelle empreinte de sérénité, qui révèle en toute subtilité ce qui se dissimule entre les lignes et sur les surfaces du réel. » (Hans Op de Beeck/°Turnhout/1969).
« Je pense qu’il est important que le spectateur puisse être un compagnon, quelqu’un avec qui partager un voyage. La vie est faite de chutes et de relèvements, et je n’ai pas beaucoup de vérités à partager, mais je recherche l’unité et un collectivisme positif » (Hans Op de Beeck, au vernissage de la présente exposition).
Travaillant à Anderlecht, cet artiste flamand a étudié les arts plastiques à l’ « ESA Saint-Luc » (« Ecole Supérieure des Arts »), à Bruxelles, puis à l’ « HISK » (« Hoger Instituut Voor Schone Kunsten »), à Molenbeek-Saint-Jean, ainsi qu’à la « Rijksakademie », à Amsterdam, ayant remporté, en 2001, à Bruxelles, le « Prix de la jeune Peinture belge », étant invité en résidence, en 2002, au « MoMA », à New York.
Notons encore, qu’il a réalisé, en 2023, les bustes – décorant désormais une salle du Palais royal – de notre roi Philippe et de notre reine Mathilde, cette dernière ayant découvert, avec un grand intérêt, la présente exposition « Hans Op de Beeck. Voyage nocturne ».
« Laissez vos yeux s’habituer à l’obscurité », telle est la consigne reçue, au moment d’entrer au sein de cet étonnant parcours, présenté sur une superficie de 1.500 mètres carrés, plongé dans une semi-obscurité, de cette superbe exposition, « Hans Op de Beeck. Voyage nocturne« , accessible à Anvers, au « KMSKA » (« Koningslijke Museum Schone Kunsten Antwerpen »/« Musée Royal des Beaux Arts d’Anvers »), jusqu’au dimanche 17 août.
A peine entrés que nous sommes accueillis par « Tatiana (Bulle de Savon) » (2017), une charmante petite fille, en grandeur nature, concentrée, les yeux fermés, au moment précis où elle souffle une bulle de savon, façonnée en verre, de petites bulles suspendues dans l’air complétant la scénographie, aussi agrémentée d’un « cerisier du Japon » sculpté (2019), à la fois noueux et empreint d’une aura féerique, ses fleurs étant créées d’un rose tendre.
« Tenez vous paisiblement devant Tatiana. Fermez les yeux, à l’instar de la jeune-fille. Prenez une profonde inspiration et expirer lentement, comme si vous souffliez doucement une bulle », tel est le conseil donné par le, fort bien rédigé, guide du visiteur, offert gracieusement, en français, à l’entrée du parcours.
Une seconde salle nous propose « Le Cavalier » (2020), impressionnant, également en grandeur nature, comme la plupart des personnages créés par Hans Op de Beeck. Sur son épaule, un petit singe tient un parasol, destine à protéger ca cavalier du soleil, divers objets (outils, sac de couchage, trompette, …) se trouvant sur les flancs du cheval. Cet énigmatique voyageur solitaire évoquerait-il un actuel migrant ?
Sur un côté de cette salle nous trouvons la « Jeune Fille endormie » (2017), sculptée, d’un seul tenant, avec un canapé, semblable à ceux dont nous pouvons profiter, tout au long du parcours, son « Chien » (2019), lui aussi endormi, se trouvant au pied de ce divan.
De l’autre côté, une nature morte en trois dimensions nous est présenté, avec un crâne morbide, posé sur un livre, derrière un autre livre, une poire et une grappe de raisins agrémentant « Vanités XL » (2021), alors qu’en quittant la salle, nous voyons « Lauren » (2016), une fillette perdue dans ses pensées, représentée en maillot de bain, tenant des ficelles entre ses mains.
Un tout autre univers nous est ensuite proposé, avec un impressionnant et énergique « Batelier » (2020), pagayant torse nu sur la représentation d’une surface d’eau, agrémentée de feuilles de nénuphars, sa barque emmenant un chien, un poulet, un jerrycan et de nombreux fruits, vraisemblablement destinés à la vente. Cet homme évoquerait-il, également, un sans abri solitaire ou un commerçant se rendant sur l’un de ces marchés flottants matinaux, si populaires dans différents pays d’Asie ?
Vient ensuite une salle à l’atmosphère particulière, nous présentant, prêtée par le « Kröller-Muller Museum », une cité lacustre, « L’Implantation » (2016), reproduite à une échelle pas trop réduite, avec ses chalets, ses pontons, ses barques, ses filets de pêche et ses guirlandes lumineuses, évoquant une scène nocturne, la lumière jaillissant par moments, nous aidant à prendre des photos (obligatoirement sans flash). Sommes-nous aux Philipinnes ou à Maracaïbo, au Vénézuela ?
Créée à une échelle encore plus réduite, nous découvrons une cabane perchée dans un arbre, planté au sommet d’un rocher, immergé dans l’eau, sur laquelle se trouve un ponton et une barque minuscules, des marches, taillées dan s la pierre permettant d’accéder au sommet du rocher, cette sculpture s’intitulant « L’Observation des Etoiles » (2020).
Parmi d’autres éléments figurant au sein de cette rotonde, « Zhai-Laza (Ange) » (2024) médite à l’image du célèbre « Penseur », d’Auguste Rodin (1840-1917), cette fillette, sculptée par Hans Op de Beeck, étant assise sur un tabouret, avec une baguette magique dans sa main gauche.
Dans un couloir menant à un manège forain, plus vrai que nature, une jeune boxeuse, « Hélène » (2023), assise à même le sol nous semble en pleine récupération d’un épuisant combat, ainsi que « Brian (Rocher) » (2020), méditant, crâne rasé, assis sur un petit rocher, manipulant une boule de cristal. Va t’il lire notre avenir ?
… Et voici, figé dans une immobilité glacée, ce carousel aux chevaux de bois, sculptés dans une autre matière, avec un seul enfant, debout, tenant en laisse un … dauphin, mais avec de curieux adultes, telle cette dame à l’ombrelle, ce cavalier, en haut de forme, ou encore un clown fumeur, assis dans son carrosse, devant son quartier de gâteau et son verre de vin, tous trois étant des … squelettes, … qui, en 3D, nous rappellent l’un des univers de Paul Delvaux (1897-1994) ou de James Ensor (1860-1949), à moins que cette scène n’évoque la joyeuse « Fête des Morts », chère à nos amis Mexicains. Quoi de plus normal que le titre donné à cette installation : « Danse Macabre » (2021).
A quelques mètres de là, nous trouvons « Crow » (2025), un corbeau, déployant ses ailes, qui, bénéficiant d’un mécanisme ingénieux, crée l’illusion de son envol.
Un virage à droite et, assise dans son vieux fauteuil sculpté, nous trouvons « Danseuse » (2019), une Brésilienne, à l’imposante coiffe en plumes et en sous-vêtements de scène. Proche d’elle, une sculpture que nous avons particulièrement aimée, « Zhai Lisa » (2024), qui, ici, n’est plus un ange, mais bien un « petit rat de l’opéra » – bien différente de « La petite Danseuse de 14 Ans », créée par Edgar Degas (1834-1917) -, celle qui, tenant un éventail, plutôt que de « faire des pointes », porte les chaussures de sa maman.
Faisant face au sabre de « Maurice » (2024), un jeune garçon, à l’encolure et aux chaussure du XVIIe siècle, se trouve une armoire, dans laquelle nous découvrons un « Cabinet de Curiosités (Le Pier) », une installation miniature, avec sa « grande roue », tournant dans un paysage forain nocturne, installé sur une jetée maritime, nous rappelant le Pier, à Blankenberge, alors qu’au pied de ce meuble, nous trouvons un tas de livres sculptés, que nous retrouvons dans presque toutes les salles, semblant nous rappeler, à l’époque des « smartphones » et de l’ « I.A. » (« Intelligence Artificielle »), l’importance de la lecture et de la culture.
Trône au centre de l’avant-dernière salles de sculptures, « Mon lit-radeau, la chambre-mer, j’ai ris d’une certaine tristesse en moi » (2010), une installation représentant une étendue d’eau, avec ses nénuphars et autres plantations, avec un lit sur lequel une jeune-fille est endormie, un livre tombant de ses mains, sa table de chevet portant un carnet de notes, un crayon, un verre et une plaquette de pilules, deux papillons enjolivant cette scénographie.
« Miriam » (2024), en robe longue, nous accueille, avec une chouette posée sur sa main droite, dans la dernière salle de sculptures. Une épingle traversant l’un de ses sourcils, elle est coiffée à la « punk », Derrière elle, nous trouvons un immense rocher sculpté, un couple d’adolescents, « La Falaise » (2019), étant assis à l’autre extrémité de ce rocher, le jeune homme posant son regard sur la jeune-fille, cette scène témoignant des premiers, intenses mais fragiles, émois amoureux. Enfin, un garçon, accroupi, joue aux billes, « Timo (Billes) » (2019), alors que, proche de lui, nous retrouvons la jeune-fille qui nous a accueilli, avec une bulle de savon, ayant, cette fois, un papillon, délicatement posé sur l’index de sa main droite, d’où l’intitulé de cette sculpture : « Tatiana (Papillon) » (2017), Le parcours s’achevant avec ses deux jeunes et ses deux enfants, la boucle est, ainsi, bouclée, … au niveau des sculptures …
… Reste une surprise que nous a réservée Hans Op de Beeck, avec un film, en noir et blanc, de 44 minutes, « Staging Silence (3) » (2019), Porté par une bande sonore originale, interprétée par le compositeur britannique « Scanner » (Romain Rimbaud/°1964/London), différentes scènes se succèdent, sur un plateau de deux mètres carrés, avec comme seules actrices et acteurs des mains et des bras leur donnant vie. Ainsi, nous assistons, notamment, à la construction minutieuse et à la disparition progressive d’un château de sable, par le fait de l’eau déversée par deux arrosoirs, lui donnant un aspect de château en ruines, avant qu’il ne disparaisse complètement, ne laissant présent qu’un petit arbre artificiel, posé là par l’une des mains. Nous voici avec un terrain de basket ball, une main plaçant des sièges à l’entour, qui devient une piscine, avec son plongeoir, avant de se transformer en un manège de scooters forain, sur lequel la nuit tombe. Et que dire de cette cabane (nous rappelant la récente exposition namuroise « Cabanes »), qui se trouve à l’avant plan de buildings, avant de se retrouver, isolé, dans une forêt, puis voisinant un lac, la brume matinale venant à l’entourer. Que de beaux effets, qui peuvent nous emmener de l’été à l’hiver, des mains nous montrant comment crée des effets de neige sur une clôture ou des balançoires, ces dernières nous ramenant à l’enfance des deux dernières sculptures évoquées …
Pour ce brillant artiste flamand, tout décor, où l’être humain évolue, est en perpétuelle mutation, la frontière entre le réel et l’irréel étant constamment déplacée.
Un mot encore pour préciser, que mis à part quelques petites exceptions, telles les fleurs roses des cerisiers du Japon ou les petites lampes de la cité lacustre, ces 39 sculptures ont été réalisées, l’une d’elle en 2025, en polyester, recouvert d’un gris mat, offrant à ses oeuvres une apparence minérale, du ciment ou de l’argile humide.
Voici ce qu’Hans Op de Beeck confia, ce concernant, à nos collègues de « L’Echo » : « Les gens me demandent souvent pourquoi je ne travaille pas entièrement en couleur. Mais une imitation parfaite à la ‘Madame Tussaud’ ne m’intéresse pas. Cela mettrait l’accent sur la question de savoir si l’imitation est réussie – des cils parfaits, des taches de rousseur détaillées – et ce n’est pas l’essence de mon travail. En supprimant la couleur et en jouant avec l’échelle et les proportions, je crée une forme de temporalité et d’abstraction, qui laisse une large place à l’interprétation. Mon objectif est de susciter une émotion à travers le parcours. J’espère offrir aux visiteurs un moment de méditation, de réflexion ou de reconnaissance, tout comme je trouve moi-même de l’espoir ou du réconfort dans un roman ou un film qui me touche. »
N’oublions pas, non plus, l’importance des paysages sonores variés, la musique disparaissant et réapparaissant dès que l’on quitte une salle pour accéder à la suivante, conférant à l’exposition une structure que nous pouvons qualifier de cinématographique, le concepteur sonore étant Greg Scheirlinckx et le compositeur Sam Vloemans, tous deux ayant collaboré à la création de musiques de films.
Notre droit d’entrée nous permettant d’accéder aux collections permanentes, comment résister à l’envie de découvrir une autre exposition temporaire, accessible jusqu’au dimanche 12 octobre, présentée au 2e étage, « Visionary Collected », nous proposant un dialogue entre des oeuvres anciennes du « KMSKA » et des oeuvres de collections privées belges, une 3e exposition, plus intimiste, au 4è étage, accessible jusqu’au dimanche 07 septembre, s’intitulant « Pioniers de l’Abstrait ».
A l’occasion de notre passage au second étage, découvrons le « Studio Rubens », la peinture à l’huile « La Vierge trônant entourée de Saints », réalisée par l’artiste anversois Peter-Paul Rubens (1577-1640), nous y étant dévoilée, alors qu’elle est en restauration depuis le 25 septembre 2023.
Nous attirons votre attention sur le fait que tous les ascenseurs ne desservent pas tous les étages. De fait, il nous faut prendre un second ascenseur pour nous rendre au 3è étage, non accessible avec l’ascenseur principal, au départ du rez-de-chaussée.
Ouverture : l’exposition « Hans op de Beeck. Voyage nocturne » est accessible jusqu’au dimanche 17 août, du lundi au vendredi, de 10h à 17h, le jeudi, de 10h à 22h, le samedi & le dimanche, de 10h à 18h. Prix d’entrée : 20€ (10€, de 18 à 25 ans / 0€, pour les moins de 18ans). Contacts : 03/267.50.00 & info@kmska.be. Site web : http://www.kmska.be/fr.
Assurément, chaque personne intéressée par l’art se doit de visiter Anvers et son « Koningslijke Museum Schone Kunsten Antwerpen », réouvert le samedi 24 septembre 2022, après 11 ans de travaux de rénovation. La présente exposition de Hans Op de Beeck, accessible pour deux semaines encore, peut, ainsi, nous motiver de nous rendre à Anvers, une superbe Ville, impossible à découvrir en une seule journée, ses nombreux musées – de la « Maison de Rubens » au « MAS » (« Museum aan de Stroom »), en passant par le « Musée Plantin Moretus », le « DIVA » (« Musée du Diamant »), le « MoMu » (« Musée de la Mode »), le « FOMU » (« Musée de Photographie »), … -, voire son « Jardin zoologique », aussi bien que d’excellents restaurants, de toutes les cuisines du monde, n’attendant que notre passage.
Yves Calbert.