Bientôt la fin du ski ? Pourra-t-on encore skier demain ?

écrit par francois.detry
le 25/06/2025
Métabief, une station en transition ( Natalie Massart )

Les années fastes de l’or blanc sont derrière nous, l’équilibre de la montagne est bouleversé par les effets du réchauffement climatique. Le défi est de taille pour la France, deuxième au rang mondial du tourisme d’hiver. Contraintes de se réinventer pour survivre, la majorité des stations de ski tardent pourtant à réagir et s’accrochent à un modèle économique rentable pendant des décennies mais qui risque, plus vite que prévu, de les entraîner dans sa chute.

Dans le village de Métabief dans le massif du Jura , les habitants l’ont bien compris. Dès 2015, ils ont anticipé l’avenir et amorcé le changement. Une transition qui pourrait bien inspirer d’autres stations, notamment dans les Alpes. 

Métabief, une station en transition

La saison touche à sa fin à Métabief, station de ski de moyenne montagne nichée au cœur du département du Haut-Doubs. Le bilan est plutôt positif cette année en termes de neige et de visiteurs, mais l’ambiance est tendue dans le village et ses environs. Le Syndicat Mixte du Mont d’or a réduit de 30% son domaine skiable. Huit pistes de ski alpin, trois télésièges et deux téléskis ont fermé cet hiver juste avant l’ouverture de la saison.

Ces mesures font grincer des dents malgré leur caractère prévisible. Car depuis quelques années Métabief, aux premières loges du réchauffement climatique, vit en mode laboratoire. 

Pendant la saison hiver 2022-2023, il n’est tombé que 35 centimètres de neige contre 185 centimètres en moyenne chaque saison hivernale depuis 2012. Devant la mise à mal flagrante d’un modèle économique qui a fait son temps, habitants, commerçants et exploitants ont pris les devants pour repenser l’avenir et assurer leur survie.

Objectif : s’extraire de la dépendance économique à la seule neige. 

"Concrètement, explique Julien Vrignon, chargé des projets de transition au sein du SMMO, le syndicat mixte du Mont d’or qui exploite les remontées mécaniques à Métabief, la transition passe par l’arrêt des dépenses et investissements pour le ski, la réduction de notre domaine skiable, le passage à des activités quatre saisons et aussi le repositionnement des métiers. Outre le fait qu’on ait anticipé dès 2015, avec l’objectif de nous transformer sous vingt ans, c’est ce qui nous distingue des autres stations", souligne Julien Vrignon.

"Il est crucial de changer de modèle", poursuit le chargé de projets.

"On s’est donné du temps pour s’en extraire tout en conservant le produit ski tant qu’on le peut, mais aussi en s’appuyant sur de nouveaux leviers et en s’ouvrant aux territoires. Notre but, c’est de transformer la station de ski en station de montagne. Ce n’est plus la station qui fait le territoire, mais le territoire qui fait la station", martèle Julien Vrignon. "Cela ne veut pas dire qu’on ne skiera plus à l’avenir", précise-t-il. 

Notre but, c’est de transformer la station de ski en station de montagne.

"Il faut qu’on maintienne notre produit ski tant qu’on le pourra. On a de la neige de culture, on a de l’enneigement naturel mais on privilégie la préservation et la maintenance des équipements existants comme les canons à neige ou les télésièges. L’argent public ne sert plus à investir mais à se diversifier dans d’autres activités pour les périodes printemps et été. Bref, proposer des activités toute l’année comme les randos, la luge d’été, l’accrobranche, les sorties nature, etc. On a un beau produit VTT qui fonctionne très bien du mois de mai jusqu’au mois de septembre. Il nous permet d’à peu près couvrir 25% de notre chiffre d’affaires sur l’ensemble de l’année. On aimerait que ce soit beaucoup plus." 

Ce changement de cap doit être piloté, explique Delphine Gresard, responsable des ressources humaines auprès du SMMO.

" Les travailleurs ne vont pas totalement changer de métier. Les métiers qui sont liés à la neige, existent encore mais on doit encore former, mettre à jour les compétences. Et préparer aux nouveaux métiers qui arrivent grâce à la diversification. Je pense, par exemple, à la luge des cimes, confie-t-elle. Tous nos travailleurs ont des compétences techniques pour manipuler des télésièges, des téléskis, mais ils savent tout à fait faire de la technique sur un nouvel appareil tel que la luge. Ce ne sont pas des métiers forcément très éloignés. Donc dire qu’il y a des reconversions ou des changements nets de carrière, c’est faux. Ce n’est pas un changement radical, c’est plutôt une transformation en douceur.

L’idée, c’est d’embarquer tout le monde. Alors pour ça, on sensibilise beaucoup nos collègues aux enjeux climatiques, ajoute la responsable RH. On fait par exemple des fresques du climat adaptées à la montagne pour qu’ils comprennent ce qui se joue. Le défi, c’est de faire en sorte que nos collègues soient vraiment des ambassadeurs de cette transition, qu'ils puisse l’expliquer autour d’eux, parce que ce n’est pas toujours compris, et faire en sorte qu’il y a une vraie adhésion à ce qui se passe."

Faire découvrir plus que le ski

Certains doutent, d’autres s’enthousiasment, VTT, randos, tir l’arc, escalade, spéléologie, canyoning…

Au bas des pistes, l’ESI, l’école de ski internationale de Métabief propose depuis l’été dernier une foule de nouvelles activités nées du dialogue entamé par le directeur et son équipe. "On ne se dit pas que la station va fermer et que c’est catastrophique", confie Florine Dubocq, secrétaire de l’école de ski. "Au contraire, on a remonté les manches pour continuer à développer nos activités et permettre à la station de vivre à l’année. Et même si on fait face en fait à un changement climatique vraiment visible, l’école de ski se développe parce qu’on a une belle montagne et un beau territoire qu’on a envie de développer et de faire découvrir avec autre chose que le ski."

La saison dernière a servi de test. L’école de ski, rebaptisée école de sport en été, a séduit les visiteurs. Résultat : du travail à l’année pour les moniteurs et un contrat à durée indéterminé pour Florine Dubocq, encore sous statut de travailleuse saisonnière les hivers précédents.

Métabief trace son avenir, beaucoup d’autres stations disparaissent

Pierre-Alexandre Métral, géographe à l’université de Grenoble, a consacré sa thèse à la fermeture des sites de ski en France. Près d’un tiers des stations de ski françaises a disparu en l’espace de 50 ans.

Après l’âge d’or des sports d’hiver dans les années 80, dans tous les massifs montagneux, nombre de stations n’ont pas réussi à pérenniser leur activité et ont dû fermer. "Depuis 2010, le mouvement s’est accéléré, surtout en moyenne montagne, principalement dans les Vosges, le Jura et le Massif central", explique Pierre-Alexandre Métral.

"Deux à trois sites de ski ferment chaque année. Les raisons sont aussi bien économiques que climatiques", poursuit le géographe. "Ce sont principalement de petits domaines skiables qui n’ont pas résisté au manque de neige, à une offre de ski limitée, à un modèle économique mal pensé et intenable dans la durée parce que pas ou plus rentable. Les conclusions du chercheur sont sans appel : "Les exploitants les plus performants et les plus créatifs résistent, les petits, qui étaient à la marge, sont le plus souvent condamnés à disparaître." 

Une trouée sans neige au milieu d’une forêt d’épicéas, une langue d’herbe au pied de laquelle gît une petite station de ski fantôme dans le département du Haut-Doubs...Ce site, à quelques kilomètres à peine de Métabief, n'est pas une exception. Les pylônes et perches des 3 téléskis, mangés par la rouille, semblent attendre d’hypothétiques skieurs, les cabanons des remontées, cernés par les broussailles affichent des instructions aux couleurs passées.

Pourtant, ce microdomaine skiable a fait la joie des familles pendant plus de trente ans. "J’ai connu une période bénite, la station avait beaucoup de succès, les gens faisaient la file aux tire-fesses", confie Etienne Wattré, propriétaire du domaine de 1983 à 2018. "Puis les effets du changement climatique se sont fait sentir, alors j’ai lancé le karting d’été et une plaine de jeux pour les enfants. Les activités d’été compensaient les pertes de l’hiver." A son départ à la retraite, Etienne Wattré remet l’affaire.

Mauvais gestionnaire, le nouveau propriétaire s’est vite envolé dans la nature. Le domaine est à l’abandon depuis 7 ans.

"Des histoires comme celles de ce petit domaine skiable, j’en connais plein d’autres", nous relate Christophe Clément, un amoureux de la montagne, spécialiste du loup et du lynx, qui nous fait visiter les lieux.

En fin de carrière, il s’est engagé auprès de l’ONG internationale Mountain Wilderness qui lutte pour la sauvegarde et la valorisation des sommets. Comme les 1700 autres bénévoles de l’association, il est chargé, entre autres missions, de démanteler et nettoyer des sites à l’abandon. Pylônes, câbles, gares de remontées mécaniques, transformateurs, bidons encore pleins d’huiles de moteur ou autres produits toxiques…

Ils évacuent, démontent et réhabilitent des sites pour rendre aux paysages leur beauté naturelle. "56 sites et à peu près 150 téléskis sont à l’abandon en France. C’est énorme mais on s’aperçoit qu’il y en a de plus en plus", nous confie Christophe Clément. "Les hivers problématiques qu’on vit en moyenne montagne sont très difficiles. Le gros problème pour les stations de ski c’est de trouver un équilibre entre activités l’hiver et l’été, de proposer de nouvelles choses. Dans les départements du Jura et du Doubs, tomber sur des stations de ski fantômes n’est malheureusement pas rare du tout.".

Si beaucoup de ces sites obsolètes font le bonheur des amateurs d’Urbex, ils défigurent les montagnes et constituent de réels dangers pour la nature, les habitants et les visiteurs.

Depuis peu, sous la pression des associations environnementales, le démontage des remontées mécaniques est inscrit dans la loi française pour tout exploitant qui voudrait en installer.

 

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